Si nous comprenons les mécanismes et les motivations de la pensée de groupe, ne pouvons-nous pas contrôler et enrégimenter les masses selon notre volonté, sans qu’elles ne s’en doutent? La pratique récente de la propagande a prouvé que c’était possible, du moins jusqu’à un certain point.
— Edward Bernays, Propaganda, 1928
Edward Louis Bernays
Edward Bernays (1891-1995), neveu de Sigmund Freud émigré aux États-Unis, fut l'un des pères fondateurs des "relations publiques". Conseiller pour de grandes compagnies américaines, Bernays a mis au point les techniques publicitaires modernes.
Edward Louis Bernays est considéré comme le père de la propagande politique institutionnelle et de l'industrie des relations publiques, dont il met au point les méthodes pour des firmes comme Lucky Strike.
Il considère qu'une minorité intelligente doit avoir le pouvoir « démocratique » et que la masse populaire doit être modelée pour l'accepter.
En combinant les idées de Gustave Le Bon et Wilfred Trotter sur la psychologie des foules avec les idées sur la psychanalyse de son oncle Sigmund Freud, Eddy Bernays a été un des premiers à vendre des méthodes pour utiliser la psychologie du subconscient dans le but de manipuler l'opinion publique.
Au début des années 1950, il orchestra des campagnes de déstabilisation politique en Amérique latine, qui accompagnèrent notamment le renversement du gouvernement du Guatemala, main dans la main avec la CIA.
Un document édifiant où l'on apprend que la propagande politique au XXe siècle n'est pas née dans les régimes totalitaires, mais au cœur même de la démocratie libérale américaine. Et ou l’on apprend comment manipuler l'opinion en
démocratie...
Premières armes
Edward Bernays est né à Vienne, en 1891, mais à l’âge d’un an, il devient citoyen des Etats-Unis d’Amérique lorsque son papa Ely émigre à New York. Le petit Eddie est le neveu de Sigmund Freud, dont il lira les livres, qu’il admirera non seulement pour sa célébrité, mais aussi pour la profondeur de ses découvertes et avec lequel il conservera un contact privilégié. Il débute dans la carrière en s’occupant de la mise en marché d’une tournée américaine des Ballets Russes, puis devient l’impresario de Caruso, avec lequel il fait ses armes et grâce auquel il sera introduit au gratin du showbiz, ce qui lui servira par la suite. Il tente sans succès de s’engager dans l’armée de terre, qui le rejette en raison de ses lointaines origines autrichiennes.
Qu’à cela ne tienne, on le retrouve à l’état major, où il aide à prêcher l’effort de guerre.
Un de ses premiers clients est Mazaryk, le président de la toute nouvelle Tchécoslovaquie. En 1918, Bernays le persuade de retarder l’indépendance de son pays d’une journée, pour mieux s’assurer les premières pages des journaux.
Edward Bernays force une rupture importante dans la façon de mettre un produit en marché en faisant réaliser à l’industrie qu’il est plus efficace de s’adresser indirectement au désir (inconscient) du client qu’à ses besoins.
Jusqu’aux années 20, la compagnie Poupou Poulet Inc. proposait à Nathalie d’acheter les poulets de Poupou Poulet Inc en vantant leur durabilité, leur versatilité, la qualité de leur fabrication, et gnagnagna. À compter de Bernays, qui commence à expérimenter sur la gestion des masses en utilisant la stimulation du soi irrationnel, l’entreprise convainc plutôt Nathalie qu’il lui manque un pénis, et qu’elle peut remplacer ce pénis par un poulet de Poupou Poulet Inc.
Dans les années 20, les grandes banques américaines fondent d’immenses chaînes de magasins et les truffent à craquer de produits innombrables. C’est la naissance de la société de consommation et, dorénavant, il n’y a plus rien de rationnel dans la relation entre le consommateur et le produit, puisque c’est à son inconscient qu’on s’adresse. L’ampleur du phénomène est ahurissante. C’est à compter de cette époque que les chaînes de restauration poussent comme des champignons, proposant principalement deux produits, le pénis (hot-dog) et le nichon (hamburger).
Les Flambeaux de la liberté
Bernays raconte avec fierté comment il a réussi à faire fumer la cigarette aux femmes de la planète.
American Tobacco payait depuis des années les grandes stars de l’opéra pour prétendre que les Lucky Strikes adoucissaient leur voix, reposaient leur gorge, magnifiaient leurs performances et purifiaient leur timbre. Une entreprise concurrente engage Bernays, qui recrute une armée de médecins et de spécialistes de la gorge et de la trachée, chargés d’exprimer l’idée qu’aucune preuve scientifique ne permet d’affirmer que les Lucky Strikes sont meilleures pour la santé que leurs concurrentes, qu’en fait, toutes les cigarettes sont également bénéfiques pour la gorge, la voix, et la santé en général, pas seulement les Lucky Strikes.
Le résultat est immédiat. Et American Tobacco engage Bernays à l’année, n’exigeant au départ qu’une chose, qu’il ne travaille plus pour ses adversaires.
Les compagnies de tabac américaines avaient frappé tout un coup de génie au cours de la première guerre mondiale, en faisant acheter par l’armée des milliards de cigarettes, qui étaient distribuées aux soldats parmi leurs rations. Jusqu’alors, les hommes leur préféraient le cigare, la pipe ou la chique, jugés plus virils, mais lorsque les GI reviennent du front en 1918, la cigarette est devenue synonyme de fraternité, de victoire, et de la domination de l’Amérique. Un problème persiste, la femme. D’une part, l’homme refuse de voir la femme fumer. De nombreux établissements interdisent carrément les fumoirs aux femmes. D’autre part, quant à la femme elle-même, elle trouve vulgaire l’idée de fumer en public, et les quelques rares fumeuses le font en cachette.
Dans les années 20, Bernays analyse la situation, soumet ses observations à un psychiatre de New York qui confirme ses soupçons. Bernays orchestre un des grands coups de marketing de l’histoire en détournant une marche catholique (la procession de Pâques) pour en faire un évènement politique au profit des suffragettes. Une dizaine de jeunes premières, invitées par lui et soigneusement instruites du plan de bataille, se présentent au-devant de la procession, exhibent leurs cigarettes, et s’allument devant les caméras des journaux.
Bernays lance le slogan aux journalistes présents: « elles allument des flambeaux pour la liberté ».
Ça coule de source. Les journaux accordent la première page à la nouvelle. Les conservateurs vendent de la copie grâce à l’aspect scandaleux. Les progressistes sont charmés. Les féministes exultent, jubilent de l’ampleur du phénomène médiatique. Toute la société états-unienne est flattée sur la muqueuse par l’imparable évocation de la sacrosainte liberté. La femme éprise d’émancipation devra simplement fumer. Fumer c’est voter !
Tout le monde profite des photos sexy de ces jolies jeunes femmes. Tous y gagnent! C’est fantastique. Bernays avait compris que la femme de l’après-guerre avait bossé dans les usines pendant que les hommes étaient au front et il lui offrait un symbole phallique digne de l’ampleur de ses revendications, la clope.
Les succès se poursuivent pour l’association Bernays American Tobacco. Histoire de mousser les ventes encore plus, Edward recrute différentes associations de médecins et finance leurs campagnes agressives pour la minceur chez la femme. La femme américaine en santé sera donc filiforme !
Les magasines spécialisés et les publications destinées aux médecins publient des articles, vantant les vertus de la maigreur féminine, mais aussi de la Lucky Strike, le choix des médecins, et toujours la meilleure pour la santé.
Des publicités dans les journaux et les magazines, présentées par des regroupements de docteurs, de médecins de famille, de dentistes et d’instituts plus ou moins bidons (tous fondés par Bernays avec des fonds de American Tobacco) proposent ensuite carrément à la femme de tendre la main vers une cigarette plutôt que vers un bonbon, ce qui est tellement meilleur pour la santé. La campagne connaît un tel succès que les grands confiseurs et les producteurs de sucre attaquent American Tobacco en justice et réclament des dommages et intérêt. C’est un triomphe, la femme est maigre, elle est libre, elle respire la santé !
Bernays invente le concept de la bidirectionnalité du rapport entre le produit et le client. Eddie est le premier à proposer d’aller voir le consommateur en personne pour écouter sa voix. Les instituts de sondage naissent de ce nouveau besoin. Gallup est le tout premier, en 1935.
C’est en tenant un des tous premiers focus groups que Bernays découvre un défaut majeur de la cigarette dans la conquête du public féminin, la couleur. Primo, la femme moderne veut porter du rouge à lèvres (on vient justement à peine de la convaincre que ses lèvres n’avaient pas la bonne teinte) et le rouge tache la cigarette. C’est pas beau. On lui offre donc premièrement des cigarettes mode, avec l’embout de couleur foncée. Ce n’est pas tout. Le paquet vert des Lucky Strikes déplaît aux dames, puisqu’il ne va avec rien de ce qu’elles portent. Bernays propose à American Tobacco de modifier la couleur du paquet pour qu’il s’agence avec les teintes de l’époque. Il affronte un refus catégorique. La marque a mis tellement d’énergie à imposer son image que c’est hors de question. Qu’à celà ne tienne. Eddie fait jouer ses contacts dans le milieu de la mode et des textiles (d’autres clients à lui) et parvient à imposer la couleur verte du paquet de Lucky Strikes. Le vert devient une des couleurs marquantes des années folles et, chose essentielle, la femme moderne peut sortir son paquet de Lucky Strikes n’importe où, il s’agence avec sa robe, le mur, les tentures, le piano, la lampe, le tapis. Et son teint.
Détail marrant, au cours de la même période, l’association des producteurs de porcs des États-Unis engage Bernays. Celui-ci se rend comtpe que les américains se contentent pour la plus part d’un simple café ou d’un jus d’orange au petit-déjeuner. Eddy s’agite en tous sens, déniche quelques médecins prêts à tout pour un petit chèque, et entâme une campagne multi-azimuths pour convaincre les états-uniens de commencer la journée par des oeufs et du bacon. À cette époque, donc, une seule même entreprise de relations publiques, celle de Bernays, fait à la fois l’apologie de la maigreur et chante les vertus du bacon.
Teapot Dome
Poison Ivy avait fait sa marque et son beurre grâce au massacre de Ludlow. C’est le scandale dit du Teapot Dome qui lance véritablement Bernays et lui fait mériter son surnom de Father of Spin (le père de la désinformation). Aux prises avec le scandale du Teapot Dome, le président Harding fait appel à Bernays. Celui-ci ne pourra pas l’empêcher d’être un peu assassiné. Il meurt empoisonné d’une embolie, d’une crise cardiaque et/ou d’un arrêt respiratoire compliqué par une étrange inaction des médecins, au cours d’un voyage en train.
C’est l’occasion d’inaugurer une (autre) annexe au Mauvais Siècle, qui s’intitulera le Petit Manuel du Filoutage. Le vice-président Coolidge devient président à la place du président et Bernays poursuit son boulot de réparateur d’image. On vend dans un premier temps l’idée rassurante que Coolidge est un personnage drabe, ennuyant, un homme ordinaire, un bon mari (contrairement à Harding qui avait des copines), un petit potache sans l'envergure des crapules habituelles. Une fois que tout le monde a avalé cette idée, on s’attaque à son pseudo-caractère tristounet en le faisant passer pour un homme discrètement fascinant. Bernays organise des fêtes à la Maison Blanche avec tout le gratin d’Hollywood.
Les journalistes accourent, les photographes se délectent. Coolidge devient cool tout court. Bernays est un membre à succès de la société New-Yorkaise, donnant parties sur soirées dans son chic appartement au Netherlands Hotel où il reçoit tant les stars que les politiciens, les riches, les grands de ce monde. Tout le monde est content.
Plus personne ne se rappelle que le Teapot Dome était relié au parti de Coolidge, qui remporte l’élection. Keep cool with Coolidge !
C’est également au cours de ces années que Bernays développe l’idée du Soi consommateur. Walter Lippman (auteur en 1922 de l’expression « fabrication du consentement » —manufacturing consent) et Bernays (qui pousse plus loin avec « ingénierie du consentement »engineering consent) considèrent tous deux que la masse doit être contrôlée, guidée, restreinte. Ses espoirs, désirs, besoins et aspirations doivent être canalisés par l’élite, les bergers du troupeau. L’élite de la société américaine (les grands banquiers, les industriels et leurs valets) rêve d’une société stable, docile et profitable.
Le consensus chez les historiens serait apparemment que Hoover manquait de charisme, ne s'y entendait pas en politique, n'avait pas beaucoup d'appuis chez les élus, ne pigeait rien à l'économie. Joli défi pour Bernays. Herbert Clark Hoover est élu président à la place de Coolidge en 1928. Il prend office le 4 mars 1929. Il avait été secrétaire du commerce sous Harding et Coolidge, donc le Teapot Dome avait été commis sous sa garde ! Qui s'en souvenait ? Qui s'en souçiait ?! Hoover garde Bernays à son emploi, lui confiant diverses missions. Dès le mois d'octobre de la première année du mandat de ce grotesque pazzi, c'est le crash. Bernays est donc au sommet de la tour durant ces années cruciales de la Grande Dépression, au cours desquelles les grandes banques américaines et internationales procèdent à leur immense arnaque.
Savon, chimie, machin
En 1924, Procter & Gamble engage Bernays. Le problème ? Les enfants détestent le savon. Pourquoi ? Ça pique les yeux. Bernays lance un concours national de... sculpture dans le savon Ivory. Des millions d’enfants participent ! Ce faisant, ils apprivoisent le savon.
De toute façon, chez Procter, on rigole bien, les écoles achètent des caisses de savon pour leurs cours d’art! On distribue même aux mères de familles des guides expliquant comment transformer les copeaux en savon à lessive.
Bernays restera à l’emploi de Procter & Gamble pendant près de quarante ans.
Les chapitres VI et XI de Mein Kampf sont directement inspirés de Cristallizing.
Goebbels, d’abord rival, puis bras droit d’Hitler dans les années 20 et ministre de la propagande Nazi de 1933 à 1945, admirait ouvertement Bernays et s’inspira de ses livres et de ses exploits du début à la fin. Les nazis ont invité sans succès Bernays à venir travailler pour eux. Malgré qu’il partageait leur haine violente des communistes, Eddy, juif, patriote et progressiste, détestait le fascisme et a décliné. Pour Edward Bernays, l’élite devait effectivement dicter ses volontés au peuple, mais il prônait une manière douce et sophistiquée de mener le troupeau à l’enclos, contrairement à la méthode gourdin des Mussolinni, Franco et Salazar. Les Nazis étaient des gens ouverts, raisonnables, modernes ! ils se ménagèrent une méthode mixte, utilisant un peu de gourdin, un peu de chansonnette, et menèrent avec une belle vigueur le troupeau dans l’enclos, comme on le sait.
Les Années Trente
Bernays convainc les architectes et designers d’intérieur des années trente d’encastrer des bibliothèques partout. Son client ? L’éditeur géant Simon & Schuster. Les jeunes mariés cherchent des livres pour garnir leurs bibliothèques.
En 1931, dans le film Thirty Million Frenchmen, Maurice Chevalier chante une chanson dont un des vers est « You’ve got those ways, those fetching ways, that make me rush out to Cartier’s » (Ta façon charmante me donne envie de t’offrir une putain de montre de riche). Edward Bernays a payé les producteurs du film pour inclure ce vers dans le film. Le client de Eddie ? Cartier.
De la même façon, faisant fi de tout réalisme historique, les cowboys d’Hollywood commencent à fumer des cigarettes à l’écran. Des scènes de clope sont ajoutées brutalement au moment du tournage, souvent montées un peu n’importe où. L’important est simplement de faire croire à une tradition associant l’homme, le vrai, à la cigarette.
Le héros des films de westerns n’est presque jamais un cowboy (employé de ferme), mais presque toujours le sheriff. Sheriff = flic = autorité = civilisation.
Il est donc l’élément de l’histoire représentant la volonté de l’élite de mettre de l’ordre, d’asservir le monde aux besoins de la cité. D’imposer la volonté de l’empire aux hommes libres. J’invite les parents parmi mes lecteurs à méditer sur les personnages et les actions du film Toy Story que leurs enfants ont regardé mille neuf cent soixante quatorze fois. Le leadership est assumé par l’armée et la police. La peau est blanche. Le sexe est masculin. Les inférieurs suivent, aident, font de leur mieux, collaborent. C’est ce qu’on leur demande. Le mal ultime (identifié par la meuzik) : modifier les produits industrialisés pour en faire quelque chose de nouveau (certainement ce qu’on pourrait appeler l’art). Les produits souffrent quand on leur manque de respect. Ce film est une preuve que Bernays est éternel.
Une des grandes obsessions historiques de l’Amérique est Order out of Chaos (faire jaillir l’ordre du chaos). C’est une des phrases favorites de Rockefeller, qui pendant la conquête de l’Ouest faisait la conquête du Monde.
C’est également une des expressions préférées de Edward Bernays, qui l’emploie souvent dans ses écrits. Ce sont les derniers mots de son bouquin de 1928,Propaganda.
En 1936, Bernays est engagé par la compagnie Philco pour développer le marché états-unien de la radio, jusque-là stagnant. Ça a marché.
New World Expo
En 1939, Bernays participe de multiples façons à l’Expo Mondiale se déroulant à New York. Bernays est entiché par le lien entre la corporation et la démocratie. General Motors et Ford dominent l’exposition.
GM, un des clients de Bernays, présente sa vision de l’Amérique du futur, avec son pavillon très couru, le Futurama, dans lequel on peut voir les dessins de ce qui deviendra l’Étendue, la Suburbia, un monde futuriste guidé par la puissance de la corporation.
Une ville miniature fait partie des exhibitions, appelée "Democracity", montrant un noyau commercial et industriel encerclé d’immenses landes recouvertes de bungallows. La maquette ressemble à s’y méprendre à l’Amérique du Nord actuelle. L’oeuvre de véritables visionnaires. Ils avaient deviné le futur !
Il faut dire que les grands cartels banquiers avaient profité du Crash de 1929 pour reprendre aux fermiers d’immenses étendues de terre dans le mid-west. Le plan pour le développement de ces étendues arrivait à maturité. Certaines personnes croient que ce modèle de civilisation est le fruit du hasard, ou encore un avènement naturel. Ces personnes se forgent des opinions. Tant mieux.
Certains observateurs attentifs remarquèrent l’absence de lieux de culte dans le modèle réduit. Avant qu’un scandale éclate, comme par magie, on y fixa quelques églises. Quelle importance ? Les habitants de la vraie Futuropolis ne seraient pas au pouvoir, mais plutôt leurs désirs inconscients.
L’Allemagne était étonnamment absente de l’exposition, dans le sens qu’elle n’y louait pas de pavillon.
Par contre, sa présence se fit sentir tout au long des deux années de présentation, puisque les nations représentées à l’expo avaient une désopilante tendance à se faire annexer ou conquérir les unes après les autres par cette même discrète puissance teutonne.
La Tchécoslovaquie, puis la Pologne, le Danemark, la Hollande, la Belgique, le Luxembourg, la France, la Norvège… Certains pavillons demeurèrent ouverts jusqu’à la fermeture des lieux en 1940, derniers vestiges de la souveraineté de leurs mères patries.
Encore un de ces détails marrants, le pavillon de la Pologne était voisin de celui de l’Union Soviétique. En 1940, toute la section fut rasée au bulldozer pour faire place à un espace appelé la Commune Américaine.
La Route
La compagnie Mack Trucks engage Bernays en 1949. Leur problème : ils ne peuvent pas vendre plus de camions. Ils ont saturé le marché. Eddie réalise que la concurrence ne vient pas des autres fabricants, mais bien du chemin de fer. Il parvient à imposer à son client une idée totalement folle, s’attaquer aux trains en faisant une promotion rageuse de l’autoroute. Une fortune est engloutie dans le projet. On forme des comités de citoyens bidons, de faux experts écrivent de vrais articles qui paraissent un peu partout, la pression populaire pèse sur des autorités déjà corrompues par des contributions non négligeables, c’est un véritable raz-de-marée qui prend d’assaut la campagne américaine ! On la couvre de routes !
Faut dire que General Motors est également client de Bernays, et que les tentacules supposément détachées de Standard Oil sont bel et bien là pour contribuer à l’effort. C'est juste si Bernays ne sort pas de sa manche un autre de ses Comités Nationaux des Médecins de Famille pour vanter les vertus de l'asphalte dans la lutte aux ongles incarnés. La civilisation de l’automobile prend son véritable essor.
Bananas
Évidemment, Eddie travaille pour le gouvernement états-unien pendant la Seconde Guerre. D’abord comme promoteur de l’entrée en guerre, puis de l’effort industriel, mais éventuellement comme consultant pour l’OSS (l’organisation des services secrets), qui deviendra ensuite la CIA. Comme c’était secret, on ne connaît pas grand’chose des activités secrètes de Bernays pour les services secrets. Comme disait un grand philosophe, « si je te disais mon secret, je ne serais plus agent secret ».
Une rumeur court selon laquelle Eddie aurait participé à l’étude de la psyché nippone qui a mené a l’emploi de l’arme nucléaire contre le Japon. L’OSS aurait également caressé le projet de faire éclater les failles sismiques de l’île en bombardant les lisières des plaques techtoniques, mais ça, bon sang, ça serait sacrément dingue.
C’est probablement au cours de son passage à l’OSS qu’Edward Bernays se lie d’amitié avec les sympathiques frères Dulles, John Foster et Allan. Ceux-ci sont avocats, politiciens et grands amateurs de fruits. Ils invitent Eddie à bosser pour une chouette entreprise dont ils sont les avocats et de laquelle ils sont d’importants actionnaires, United Fruit.
Ces charmants messieurs feront l’objet d’un chapitre rien que pour eux, donc je ne m’étendrai pas trop sur les grandes oeuvres de leur charmante bizness. Toujours est-il qu’ils avaient beaucoup de bananes à vendre, que c’est la puissance de leur compagnie (et son obsession de la banane) qui a engendré l’expression « république de banane », et que Edward Bernays n’avait évidemment pas un immense défi devant lui lorsqu’on lui a demandé de vendre des bananes à l’inconscient du soi consommateur des occidentaux. Think big.
Au plan de la politique extérieure, on ne fait pas d’omelette au bacon sans casser des couilles. Ça n’a pas toujours été sur des roulettes pour nos amis Dulles. Je n’évoquerai ici que le cas Arbenz, qui a fait date, parce que la chose fait partie des chefs-d’oeuvre de Bernays. Le plan monté pour cette opération a servi souvent par la suite et sert encore aujourd’hui. Je dirais même qu’il sera employé jusqu’à la fin des temps, si par malheur, on se rendait jusque là.
Le colonel Jacobo Arbez Guzman est élu président du Guatemala en 1950. C’est un modéré pragmatique, soucieux de développer le potentiel économique de son pays et d’en améliorer les conditions. Pour faire une histoire courte, Arbenz a l’idée d’acheter à United Fruit les énormes terres non cultivées que celle-ci possède au pays. Devant le refus du géant américain, une loi est promulguée, permettant aux paysans de faire l’acquisition des terres laissées à l’abandon par les grandes sociétés agricoles. Le problème est que la United Fruit a absolument besoin de ces terres pour s’assurer le contrôle de la production et éviter toute concurrence, ce qui lui permet de fixer les prix.
Que les paysans crèvent de faim en regardant des champs où rien n’est planté ne fait pas partie de l’équation. United Fruit et Wall Street d’un côté, et le peuple du Guatemala et son gouvernement de l’autre, sont désormais à couteaux tirés. Mais l’empire du fruit possède une arme de persuasion massive.
Bernays est chargé d’une campagne de salissage dans les médias américains au cours de laquelle le gouvernement guatemaltèque est qualifié de communiste et ses mesures en faveur des paysans sont montrées comme autant de preuves de la terrible influence de l’ogre soviétique, en pleine sphère d’influence états-unienne, dans la propre cour de l’Oncle Sam (le terme bidonnantbackyard).
Le public lui-même finit par réclamer une intervention et l’armée Impérialiste arme et organise un coup d’état en 1954. Les fils de presse occidentaux annoncent triomphalement la bonne nouvelle de la libération du pays. Ces textes sortent directement du bureau d’Edward Bernays, renseigné heure après heure par son réseau d’espions et d’agents, mi-United Fruit, mi-CIA, infestant la capitale Guatemala Ciudad.
Une junte militaire remplace le gouvernement démocratique, qui règne depuis sur le pays, en collaboration harmonieuse avec United Fruit et ses subséquentes incarnations, qui a repris tous ses droits. Il a malheureusement fallu exécuter, violer, torturer et emprisonner quelques centaines de milliers de personnes, mais c’est le prix à payer pour vivre dans un monde libre et sécuritaire.
Ironie incroyable
Petit sous produit rigolo et inattendu de ce coup d’état, un jeune homme séjournait chez des potes au moment de la prise de la capitale. Ce jeune médecin beatnik, jusqu’à ce jour plutôt buveur, coureur de jupons et ennuyé par la politique, a été tellement sidéré par les évènements que sa vie a changé radicalement par la suite. Il s’appelait Ernesto Guevara Lynch de la Cerna.
À la fin des années 40, l'armée américaine fabriquait des bombes. Beaucoup de bombes. Nucléaires. Un des sous-produits de cette industrie, le fluorure, était un violent poison. Ça coûtait cher de s'en débarrasser. En prévision des éventuelles poursuites que les victimes inévitables de ce fléau risquaient d'entreprendre, on commanda des études cuisinées destinées à faire croire que ce déchet toxique était une panacée...
Bernays bossait sur le coup, et comme ses petits instituts dentaires étaient déjà en place, les mêmes qui recommandaient la cigarette depuis 20 ans, on décida que cette crisse de marde était bonne pour les dents et Eddie se chargea du boulot. Au lieu de dépenser des millions pour trouver une façon sécuritaire de disposer de ce caca industriel, on le VEND aux communautés, qui avec l'argent de leurs taxes, notre argent, le mélangent à l'eau potable. Montréal résiste encore, pour l'instant... Mais pas Laval, ni... Québec. Tiens, tiens, tiens... Si c'était vrai que ça rend idiot, ce truc... Ça expliquerait le but d'Alain Côté, CHOI, et la montée de Mariolinni !
Fin
Golda Meir a approché Bernays qui a ensuite pris en charge l’image publique d’Israël aux Etats-Unis. L’Inde l’a également engagé pour le même travail. Dans les deux cas, Bernays se rapportait fidèlement au Département d’État, donc à ses amis Dulles.
Bernays a vécu jusqu’à l’âge de 105 ans. Il n’a jamais aimé la cigarette et n'a jamais fumé.
Au courant depuis les années 30, comme ses employeurs de l’époque, des dangers du tabac, il convainquit même sa femme de cesser de fumer. Possiblement rongé par la culpabilité, il prêta ses talents à la lutte anti-tabac dès les années soixante, proposant même des campagnes si radicales qu’elles furent rejetées par les autorités.
Partiellement conscient (un peu moins que Guy Debord, disons) des aspects néfastes du monstre qu’il avait engendré, il tenta pendant quarante ans de baliser les possibles excès de la propagande et des relations publiques, proposant des lois, des conseils, des ordres professionnels...
Sans succès.
Bernays a dit :
"Aucun sociologue sérieux ne croit désormais à cette idée absurde selon laquelle la voix du public représente une sorte d’idée divine, sage ou grandiose. La voix du peuple exprime la pensée du peuple et cette pensée est formée pour lui par ses meneurs et par les personnes qui comprennent la manipulation de l’opinion publique. Celle-ci est composée de préjugés traditionnels, de symboles, de clichés et de formules verbales inculqués au public par l’élite."
"Dans tous les gestes de nos vies quotidiennes, que ce soit dans la sphère politique ou économique, dans notre comportement en société ou notre réflexion éthique, nous sommes dominés par un petit nombre de personnes — une fraction infime de la société — qui comprennent les processus mentaux et les cadres sociaux régissant les masses."
"Il est relativement facile de faire changer les attitudes de millions de gens, alors qu’il est impossible de faire changer l’attitude d’une personne seule."
"Il est plus facile de faire accepter son point de vue en citant les autorités dignes de respect, en encadrant l’angle dans lequel notre idée a germé, et en faisant référence à la tradition qu’en disant à quelqu’un qu’il se trompe."
"Une phrase qui s’adresse au public ne devrait jamais compter plus de seize mots et une seule idée."
"La meilleure défense contre la propagande, plus de propagande."
"J’ai été choqué d’apprendre que mes livres ornaient les tablettes de la bibliothèque de Goebbels. Mais je savais que toute activité humaine peut servir des objectifs sociaux ou antisociaux. De toute évidence les attaques contre les juifs en Allemagne n’avaient rien d’une explosion émotive et tout de la campagne soigneusement et délibérément planifiée.
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Je suis la victime, et non le bénéficiaire, de ma propre propagande."
"L’école publique devrait former l’éducateur et lui faire réaliser que son travail comprend deux volets : l’éducation en tant que professeur, et l’éducation en tant que propagandiste."
"Peut-on appeler ça le gouvernement par la propagande ? Si vous préférez, appelons cela le gouvernement par l’éducation. Cependant, l’éducation, dans le sens académique du mot, est insuffisante. Il faut une propagande experte et éclairée, à travers la création de circonstances, la mise en scène d’événements significatifs, et la dramatisation de certains sujets. L’homme d’état du futur sera ainsi capable de mobiliser la pensée du public autour de certains points politiques précis, et pourra enrégimenter une vaste étendue d’électeurs hétérogènes en leur offrant une compréhension claire de la situation, qui les mènera à des actions intelligentes."
"Certains objecteront, évidemment, que la propagande finira par s’autodétruire, au moment où ses mécanismes deviendront évidents pour le public. À mon avis, non."
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