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lundi 5 janvier 2015

ENTRETIEN AVEC MICHEL SERRES :"LA GÉNÉRATION MUTANTE"


Petite Poucette, la génération mutante

Philosophe et historien des sciences, Michel Serres réclame l’indulgence pour les jeunes, obligés de tout réinventer dans une société bouleversée par les nouvelles technologies.

Michel Serres, diplômé de l’Ecole navale et de Normale Sup, a visité le monde avant de l’expliquer à des générations d’étudiants. Historien des sciences et agrégé de philosophie, ancien compagnon de Michel Foucault, avec qui il a créé le Centre universitaire expérimental de Vincennes en 1968, il a suivi René Girard aux Etats-Unis, où il enseigne toujours, à plus de 80 ans. Ce prof baroudeur, académicien pas tout à fait comme les autres, scrute les transformations du monde et des hommes de son œil bleu et bienveillant. Son sujet de prédilection : la jeune génération, qui grandit dans un monde bouleversé, en proie à des changements comparables à ceux de la fin de l’Antiquité. La planète change, ils changent aussi, ont tout à réinventer.«Soyons indulgents avec eux, ce sont des mutants», implore Michel Serres, par ailleurs sévère sur sa génération et la suivante, qui laisseront les sociétés occidentales en friche. Entretien.

Vous annoncez qu’un «nouvel humain» est né. Qui est-il ?

Je le baptise Petite Poucette, pour sa capacité à envoyer des SMS avec son pouce. C’est l’écolier, l’étudiante d’aujourd’hui, qui vivent un tsunami tant le monde change autour d’eux. Nous connaissons actuellement une période d’immense basculement, comparable à la fin de l’Empire romain ou de la Renaissance.

Nos sociétés occidentales ont déjà vécu deux grandes révolutions : le passage de l’oral à l’écrit, puis de l’écrit à l’imprimé. La troisième est le passage de l’imprimé aux nouvelles technologies, tout aussi majeure. Chacune de ces révolutions s’est accompagnée de mutations politiques et sociales : lors du passage de l’oral à l’écrit s’est inventée la pédagogie, par exemple. Ce sont des périodes de crise aussi, comme celle que nous vivons aujourd’hui. La finance, la politique, l’école, l’Eglise… Citez-moi un domaine qui ne soit pas en crise ! Il n’y en a pas. Et tout repose sur la tête de Petite Poucette, car les institutions, complètement dépassées, ne suivent plus. Elle doit s’adapter à toute allure, beaucoup plus vite que ses parents et ses grands-parents. C’est une métamorphose !

Cette mutation, quand a-t-elle commencé ?

Pour moi, le grand tournant se situe dans les années 1965-1975, avec la coupure paysanne, quand la nature, notre mère, est devenue notre fille. En 1900, 70% de la population française travaillait la terre, ils ne sont plus que 1% aujourd’hui. L’espace vital a changé, et avec lui «l’être au monde», que les philosophes allemands comme Heidegger pensaient immuable. La campagne, lieu de dur travail, est devenue un lieu de vacances. Petite Poucette ne connaît que la nature arcadienne, c’est pour elle un terrain de loisirs et de tourisme dont elle doit se préoccuper. L’avenir de la planète, de l’environnement, du réchauffement climatique… tout est bousculé, menacé.

Prenons l’exemple du langage, toujours révélateur de la culture : il n’y a pas si longtemps, un candidat au concours de l’Ecole normale était interrogé sur un texte du XIXe siècle qui parlait de moissons et de labourage. Le malheureux ignorait tout le vocabulaire ! Nous ne pouvions pas le sanctionner, c’était un Petit Poucet qui ne connaissait que la ville. Mais ce n’est pas pour ça qu’il était moins bon que ceux des générations précédentes. Nous avons dû nous questionner sur ce qu’étaient le savoir et la transmission.

C’est la grande question, pour les parents et les enseignants : que transmettre entre générations ?

Déjà, Petit Poucet et Petite Poucette ne parlent plus ma langue. La leur est plus riche, je le constate à l’Académie française où, depuis Richelieu, on publie à peu près tous les quarante ans le dictionnaire de la langue française. Au siècle précédent, la différence entre deux éditions s’établissait à 4 000 ou 5 000 mots. Entre la plus récente et la prochaine, elle sera d’environ 30 000 mots. A ce rythme, nos successeurs seront très vite aussi loin de nous que nous le sommes du vieux français !

Cela vaut pour tous les domaines. À la génération précédente, un professeur de sciences à la Sorbonne transmettait presque 70% de ce qu’il avait appris sur les mêmes bancs vingt ou trente ans plus tôt. Elèves et enseignants vivaient dans le même monde. Aujourd’hui, 80% de ce qu’a appris ce professeur est obsolète. Et même pour les 20% qui restent, le professeur n’est plus indispensable, car on peut tout savoir sans sortir de chez soi ! Pour ma part, je trouve cela miraculeux. Quand j’ai un vers latin dans la tête, je tape quelques mots et tout arrive : le poème, l’Enéide,le livre IV… Imaginez le temps qu’il faudrait pour retrouver tout cela dans les livres ! Je ne mets plus les pieds en bibliothèque. L’université vit une crise terrible, car le savoir, accessible partout et immédiatement, n’a plus le même statut. Et donc les relations entre élèves et enseignants ont changé. Mais personnellement, cela ne m’inquiète pas. Car j’ai compris avec le temps, en quarante ans d’enseignement, qu’on ne transmet pas quelque chose, mais soi. C’est le seul conseil que je suis en mesure de donner à mes successeurs et même aux parents : soyez vous-mêmes ! Mais ce n’est pas facile d’être soi-même.

Vous dites que les institutions sont désuètes ?

Souvenez-vous de Domenech qui a échoué lamentablement à entraîner l’équipe de France pour le Mondial de foot. Il ne faut pas lui en vouloir. Il n’y a plus un prof, plus un chef de parti, plus un pape qui sache faire une équipe ! Domenech est en avance sur son temps ! Il faudrait de profondes réformes dans toutes les institutions, mais le problème, c’est que ceux qui les diligentent traînent encore dans la transition, formés par des modèles depuis longtemps évanouis.

Un exemple : on a construit la Grande Bibliothèque au moment où l’on inventait Internet ! Ces grandes tours sur la Seine me font penser à l’observatoire qu’avaient fait construire les maharajahs à côté de Delhi, alors que Galilée, exactement à la même époque, mettait au point la lunette astronomique. Aujourd’hui, il n’y a que des singes dans l’observatoire indien. Un jour, il n’y aura plus que des singes à la Grande Bibliothèque. Quant à la politique, c’est un grand chantier : il n’y a plus de partis, sinon des machines à faire élire des présidents, et même plus d’idéaux. Au XIXesiècle, on a inventé 1 000 systèmes politiques, des marxistes aux utopistes. Et puis plus rien, c’est bizarre non ? Il est vrai que ces systèmes ont engendré 150 millions de morts, entre le communisme, la Shoah et la bombe atomique, chose que Petite Poucette ne connaîtra pas, et tant mieux pour elle. Je pense profondément que le monde d’aujourd’hui, pour nous, Occidentaux, est meilleur. Mais la politique, on le voit, n’offre plus aucune réponse, elle est fermée pour cause d’inventaire. Ceci dit, moi non plus, je n’ai pas de réponses. Si je les avais, je serais un grand philosophe.

La seule façon d’aborder les conséquences de tous ces changements, c’est de suspendre son jugement. Les idéalistes voient un progrès, les grognons, une catastrophe. Pour moi, ce n’est ni bien ni mal, ni un progrès ni une catastrophe, c’est la réalité et il faut faire avec. Mais nous, adultes, sommes responsables de l’être nouveau dont je parle, et si je devais le faire, le portrait que je tracerais des adultes ne serait pas flatteur. Petite Poucette, il faut lui accorder beaucoup de bienveillance, car elle entre dans l’ère de l’individu, seul au monde. Pour moi, la solitude est la photographie du monde moderne, pourtant surpeuplé.

Les appartenances culturelles n’ont-elles pas pris de l’importance ?

Pendant des siècles, nous avons vécu d’appartenances, et c’est ce qui a provoqué bien des catastrophes. Nous étions gascons ou picards, catholiques ou juifs, riches ou pauvres, hommes ou femmes. Nous appartenions à une paroisse, une patrie, un sexe… En France, tous ces collectifs ont explosé, même si on voit apparaître des appartenances de quartier, des communautés autour du sport. Mais cela ne constitue pas les gens. Je suis fan de rugby et j’adore mon club d’Agen, mais cela reste du folklore, l’occasion de boire de bons coups avec de vrais amis… Quant aux intégrismes, religieux ou nationalistes, je les apparente aux dinosaures. Ma Petite Poucette a des amis musulmans, sud-américains, chinois, elle les fréquente en classe et sur Facebook, chez elle, partout dans le vaste monde. Pendant combien de temps lui fera-t-on encore chanter «qu’un sang impur abreuve nos sillons» ?

Que répondez-vous à ceux qui s’inquiètent de voir évoluer les jeunes dans l’univers virtuel des nouvelles technologies ?

Sur ce plan, Petite Poucette n’a rien à inventer, le virtuel est vieux comme le monde ! Ulysse et Don Quichotte étaient virtuels. Madame Bovary faisait l’amour virtuellement, et beaucoup mieux peut-être que la majorité de ses contemporains. Les nouvelles technologies ont accéléré le virtuel mais ne l’ont en aucun cas créé. La vraie nouveauté, c’est l’accès universel aux personnes avec Facebook, aux lieux avec le GPS et Google Earth, aux savoirs avec Wikipédia. Rendez-vous compte que la planète, l’humanité, la culture sont à la portée de chacun, quel progrès immense ! Nous habitons un nouvel espace… La Nouvelle-Zélande est ici, dans mon iPhone ! J’en suis encore tout ébloui !

Ce que l’on sait avec certitude, c’est que les nouvelles technologies n’activent pas les mêmes régions du cerveau que les livres. Il évolue, de la même façon qu’il avait révélé des capacités nouvelles lorsqu’on est passé de l’oral à l’écrit. Que foutaient nos neurones avant l’invention de l’écriture ? Les facultés cognitives et imaginatives ne sont pas stables chez l’homme, et c’est très intéressant. C’est en tout cas ma réponse aux vieux grognons qui accusent Petite Poucette de ne plus avoir de mémoire, ni d’esprit de synthèse. Ils jugent avec les facultés cognitives qui sont les leurs, sans admettre que le cerveau évolue physiquement.

L’espace, le travail, le savoir, la culture ont changé. Et le corps?

Petite Poucette n’aura pas faim, pas soif, pas froid, sans doute jamais mal, ni même peur de la guerre sous nos latitudes. Et elle vivra cent ans. Comment peut-elle ressembler à ses ancêtres ? Ma génération a été formée pour la souffrance. La morale judéo-chrétienne, qu’on qualifie à tort de doloriste, nous préparait tout simplement à supporter la douleur, qui était inévitable et quotidienne. C’était ainsi depuis Epicure et les Stoïciens.

Savez-vous que Louis XIV, un homme pas ordinaire, a hurlé de douleur tous les jours de sa vie ? Il souffrait d’une fistule anale, qui n’a été opérée qu’au bout de trente ans. Son chirurgien s’est entraîné sur plus de 100 paysans avant… Aujourd’hui, c’est un coup de bistouri et huit jours d’antibiotiques. Je suis le dernier client de mon dentiste qui refuse les anesthésies, il n’en revient pas ! Ne plus souffrir, c’est un changement extraordinaire. Et puis, on est beaucoup plus beau aujourd’hui. Quand j’étais petit, les paysans étaient tous édentés à 50 ans ! Et pourquoi croyez-vous que nos aïeux faisaient l’amour habillés, dans le noir ? La morale, le puritanisme ? Rigolade ! Ils étaient horribles, tout simplement. Les corps couverts de pustules, de cicatrices, de boutons, ça ne pouvait pas faire envie. La fraise, cette collerette que portaient les nobles, servait à cacher les glandes qui éclataient à cause de la petite vérole ! Petite Poucette est jolie, elle peut se mettre toute nue, et son copain aussi. Quand on la prend en photo, elle dit «cheese», alors que ses arrière-grands-mères murmuraient «petite pomme d’api» pour cacher leurs dents gâtées.

Ce sont des anecdotes révélatrices. Car c’était au nom de la pudeur, et donc de la religion et de la morale, qu’on se cachait. Tout cela n’a plus cours. Je crois aussi que le fait d’être «choisi» lorsqu’on naît, à cause de la contraception, de l’avortement, est capital dans ce nouvel état du corps. Nous naissions à l’aveuglette et dans la douleur, eux sont attendus et entourés de mille soins. Cela ne produit pas les mêmes adultes.
L’individu nouveau a une très longue vie devant lui, cela change aussi la façon d’appréhender l’existence…

Une longue vie devant et aussi derrière lui. L’homme le plus cultivé du monde des générations précédentes, l’uomo di cultura, avait 10 000 ans de culture, plus un peu de préhistoire. Petite Poucette a derrière elle 15 milliards d’années, du big bang à l’homo sapiens, le Grand Récit n’est plus le même ! Et on est entrés dans l’ère de l’anthropocène et de l’hominescence, l’homme étant devenu l’acteur majeur du climat, des grands cycles de la nature. Savez-vous que la communauté humaine, aujourd’hui, produit autant de déchets que la Terre émet de sédiments par érosion naturelle. C’est vertigineux, non ? Je suis étonné que les philosophes d’aujourd’hui, surtout préoccupés par l’actualité et la politique, ne s’intéressent pas à ce bilan global. C’est pourtant le grand défi de l’Occident, s’adapter au monde qu’il a créé. Un beau sujet philosophique.

article de : Pascale NIVELLE
Source : Libération.fr
merci à C.C.

dimanche 6 février 2011

L’ÉVOLUTION HUMAINE : À LA DÉRIVE...

Le jour où les gens auront compris que ce qu'il y a de plus amusant sur la terre, c'est de s'instruire et que ce qu'il y a de plus embêtant, c'est de s'amuser... Ce jour là, le monde aura fait un pas gigantesque vers le bonheur !
[Sacha Guitry]


Depuis plus d'un million d'années que l'homme existe sur cette planète, sa connaissance du monde extérieur a considérablement évolué, il a augmenté son pouvoir et sa capacité à faire face aux calamités naturelles…
Intérieurement, dans sa conscience, l'homme n'a pas beaucoup évolué. Il reste très semblable à l'homme primitif - peureux et incertain, formant des groupes (religieux et nationaux), luttant et se préparant à la guerre, se cherchant des avantages et haïssant son prochain.

Il est maintenant capable d'aller sur la lune et de communiquer sur tout le globe en quelques minutes, mais il trouve toujours difficile d'aimer son voisin et de vivre en paix. L'homme moderne est brutal, égoïste, violent, avide et possessif comme l'homme primitif d'il y a un million d'années, bien qu'il soit maintenant capables de se cacher derrière de belles paroles et de nobles pensées.

Ce développement déséquilibré de l'être humain l'a conduit au bord de sa propre destruction. Il est à la limite de la guerre nucléaire, dans l'imminence d'une extinction totale. Le pouvoir que lui a donné un savoir grandissant ne s'est pas associé à une intelligence et à une vision appropriées.

Pourquoi? Pourquoi n'avons-nous pas psychologiquement évolué?

Est-ce parce que nous n'avons pas tourné notre attention vers l'intérieur afin de comprendre notre esprit, nos pensées, nos sentiments?

Nous sommes si satisfaits, si éblouis par nos exploits, nos "progrès" dans notre monde extérieur, que nous avons complètement négligé le monde intérieur de notre conscience. Chez l'homme primitif la haine ne pouvait avoir que peu d'ampleur, la puissance de l'homme moderne la rend bien plus dévastatrice et nous voyons ses conséquences désastreuses tous les jours autour de nous.

Une meilleure organisation de la société pourrait nous sembler être la réponse à ce problème. Mais ceci n'est qu'une illusion profondément enracinée…

On ne peut être opposé, bien sûr, à une bonne organisation de la vie de tous les jours; mais il vous est impossible de construire une société pacifique et non-violente avec des millions d'individus qui sont violents, agressifs et égoïstes, quelque soit la façon dont vous y preniez.

Si vous avez une société communiste, vous aurez la violence du communisme. Si vous avez une société capitaliste, vous aurez la violence du capitalisme. Vous pouvez d'une certaine manière canaliser la violence, mais elle se manifestera toujours ailleurs. Il y a eu des mouvements de révolutions mais la tyrannie de l'homme par l'homme n'a pas cessé, elle a seulement pris d'autres formes.

Une société véritablement pacifique, non-violente, n'est possible que si l'individu se transforme psychologiquement, fondamentalement. Tout autre changement et superficiel et temporaire. Il ne résoudra jamais les problèmes, il nous permettra seulement de faire face pendant un temps, dans certains cas.

La société, c'est ce que l'homme est. De même qu 'une barre de cuivre se caractérise par les atomes qui la constituent, de même une société se caractérise par les individus qui la composent.

Tous les problèmes que nous voyons dans la société aujourd'hui reflètent les problèmes de la psyché de l'individu. C'est pour cela que nous devons nous préoccuper de la transformation intérieure de l'homme et pas seulement de l'organisation extérieure de la société. L'individu ne change que lorsque change sa conscience…

La vertu ne se pratique pas. Toutes les religions ont échoué à essayer de changer l'homme. Auraient-elles réussi, nous n'aurions pas aujourd'hui tant de cruauté, de guerres et de haine. Nous devons examiner pourquoi les religions ont échoué à changer l'homme et en tirer la leçon. Selon son essence, chaque religion a prescrit un chemin, un ensemble de vertus à observer et de vices à éviter. Et l'homme a lutté pendant des milliers d'années pour les respecter, mais cela n'a pas marché.

La pratique des actes vertueux ne change pas en elle-même la conscience de l'homme. Pratiquer la bonté avec préméditation n'a jamais créer une conscience vertueuse. Cela redevient affaire d'effort, de recherche d'un but dans la vie, d'une méthode en vue d'une auto-satisfaction. En même temps, si le cœur est bon, cette bonté s'exprimera dans chaque acte, dans chaque pensée, parole et acte. Il n'est pas alors question de pratique.

De même on ne peut pas pratiquer la non-violence, tant que l'on est agressif, haineux, violent intérieurement. Sinon, la non-violence devient une façade, un comportement hypocrite, la manifestation d'un calcul. Ce n'est qu'en observant les causes de la violence en chacun et en les éliminant (non par effort mais à travers une compréhension) que l'on peut venir à bout de la violence. Et quand nous mettons fin à la violence nous n'avons pas besoin de pratiquer la non-violence. Seul un esprit paresseux a besoin de se discipliner!

Donc, la vertu ne peut ni être pratiquée, ni être cultivée. c'est un état d'esprit, un état de conscience auquel on arrive quand il y a connaissance de soi, compréhension, clarté et vision. On ne peut pas l'atteindre par un effort volontaire. Elle exige une vision pénétrante. Et cette vision pénétrante passe par l'observation, par la réflexion, par l'attention sensible.

C'est la perception de la vérité qui libère la conscience de son ignorance et de ses illusions. C'est l'ignorance qui engendre le désordre dans la psyché. Le bien doit être spontané sinon il n'est pas le bien. Tout changement dans le comportement extérieur de l'homme, résultant de la peur, de la contrainte, de la discipline, de la conformité, de l'imitation, et de la propagande ne représente pas un vrai changement dans sa conscience et est à la fois superficiel et contradictoire.

La vérité, la libération et l'illumination ne peuvent s'acquérir par l'intermédiaire d'autrui.

Depuis la nuit des temps, l'homme dépend d'un Guru, d'une religion ou d'un livre pour lui indiquer le chemin.

La vraie sagesse a montré que la vérité est un pays sans chemin et qu'aucun Guru, aucun chemin, aucune croyance, aucun livre ne peuvent vous y conduire. Il faut être sa propre lumière et ne pas chercher sa lumière auprès d'un autre.

Le rôle d'un sage est simplement de montrer la sagesse… C'est à l'individu lui-même d'apprendre. et la capacité d'apprendre est de loin plus importante que celle d'enseigner. Dans ce domaine, personne ne peut vraiment enseigner quoique ce soit à qui que ce soit. Chacun doit arriver à la vérité par lui-même et il lui faut commencer par se connaître.

Il est impossible de trouver la vraie réponse à toute question sérieuse sans d'abord comprendre le fonctionnement de son propre processus de pensée, le conditionnement que l'on a acquis de ses propres expériences, traditions, culture, religion, etc...

Nos croyances, nos opinions, nos conclusions, nos préjugés nous empêchent de voir les choses dans leur vraie perspective car ils altèrent notre vision. On devrait être conscient de ce fait et mettre en doute chaque conclusion qui vient à l'esprit car elle pourrait ne pas représenter la vérité.

Le processus d'apprendre a lieu quand nous cherchons en nous-mêmes de cette manière dans l'intention de chercher la vérité et pas simplement la satisfaction. Et il faut vivre dans cet état de recherche, de questionnement et de doute tout au long de sa vie, sans chercher à parvenir à quoi que ce soit...

Ce que l'on peut recevoir de l'autre est une pensée, une question, mais l'exploration doit être propre à chacun.

À moins que vous ne découvriez la vérité par vous-mêmes, elle ne vous appartient pas, et ce ne sera touours qu'une description de la vérité.

L'homme a souvent pris le symbole, le mot, le concept pour « la vraie chose ». Le véritable chrétien est celui qui vit selon le sermon sur la montagne (et vous ne pouvez faire cela que si vous avez la conscience du Christ) et non celui qui se rend simplement à l'église pour effectuer tous les rituels. Un vrai bouddhiste est celui qui participe à la conscience du Bouddha et non celui qui obéit à l'église bouddhiste. Toutes les églises, toutes les religions organisées n'ont réussi qu'à réduire la grande vérité à un simple système, un symbole, un rituel…

Ce qui importe n'est pas l'habit, l'étiquette, mais le contenu de la conscience intérieur. Le rôle de l'enseignant est semblable à celui d'une lampe sur le chemin…

Une recherche sensée requiert une libération de toute croyance, préjugés, conclusions hâtives et conditionnement. Elle exige une profonde connaissance de soi. Puisque la vérité ne peut pas être organisée et propagée, les organisations spirituelles qui tentent de le faire n'ont aucune valeur.

La compréhension intellectuelle n'est pas une réelle compréhension.
Nous sommes souvent satisfaits d'une réponse intellectuelle à une question et cela met fin à notre recherche. Dans ce cas, la compréhension intellectuelle devient un obstacle à la découverte de la vérité. Il est facile de constater intellectuellement que l'on ne doit pas s'inquiéter quand son enfant est malade. Cette inquiétude n'aide pas l'enfant. Ce qui lui viendrait en aide serait de faire venir un médecin.

Mais cet argument logique effacera-t-il notre inquiétude? Le fait de savoir que la colère est un vice nous empêche-t-il de nous mettre en colère?

La vérité est bien plus profonde que la simple logique ou la simple raison et la réponse intellectuelle est incomplète.

Donc une compréhension intellectuelle est insuffisante. Elle peut être utile dans certains cas mais elle reste superficielle. Cette compréhension peut être garantie par le moyen du livre par exemple mais c'est seulement un schéma de pensée pour la mémoire; il ne doit pas être confondu avec la vérité.

Donc, si la compréhension intellectuelle est une chose limitée, qu'est-ce alors qui révèle la vérité?

Pour cela, chacun doit s'observer et observer son propre processus de pensée à la manière d'un vrai scientifique qui observerait un phénomène. Il ne fait pas intervenir sa volonté, il observe sans choix, sans laisser son désir interférer dans son observation. Quand on observe de cette manière, dans une attention neutre et passive, sans désir de former rapidement une opinion ou tirer une conclusion, tout en hésitant, patiemment et avec scepticisme, afin de se comprendre et de comprendre la vie, alors seulement on peut découvrir ce qui est vrai et ce qui est faux; le faux tombe de lui-même sans effort ni volonté. L'ignorance se dissout alors dans la lumière de la compréhension…

Sans cette investigation objective mais passionnée de soi-même, de ses conclusions, croyances, attachements, désirs et motivations, s'identifier intellectuellement à un groupe, à une théorie ou à une croyance et embrasser définitivement une cause quelle qu'elle soit, n'a que très peu de valeur. C'est tout aussi sot que de dire "mon pays est le meilleur parce que j'y suis né". Néanmoins c'est ceci qu'implique le nationalisme.

Il est tragique de constater que n'avons jamais été éduqués à nous regarder vraiment. Nous avons seulement été éduqués à apprendre sur le monde extérieur et à faire face d'une certaine manière à ses problèmes. Par conséquent nous nous formons en connaissant beaucoup de choses sur le monde extérieur mais en étant complètement ignorants de nous-mêmes, de nos désirs, ambitions, valeurs et point de vues sur la vie.

Nous pouvons être très compétents dans nos métiers mais nous sommes totalement embarrassés lorsqu'il nous faut discerner si le plaisir appelle le bonheur, si le désir et l'attachement sont la même chose que l'amour, et pourquoi les différences entre les hommes deviennent des inégalités…

Il n'est pas question dans la joie, l'amour, la non-violence et l'humilité, d'entreprise. Elles accompagnent la recherche, la connaissance de soi et la compréhension, qui épure notre conscience en la libérant des opinions arrêtées, des croyances ou systèmes de pensée…

Si nous regardons très clairement par une étude minutieuse et attentive que la poursuite du plaisir ne conduit pas à la joie, alors notre vision du plaisir se transforme à la source et nous abandonnons la poursuite du plaisir sans aucun effort, sacrifice ou répression. Il apparaît alors une austérité naturelle complètement différente de celle que l'on s'impose par la pratique.

De même si l'on remarquait par sa propre observation et recherche, que l'on ait pas essentiellement différent des autres êtres humains, que nous partageons avec eux les mêmes problèmes de peur, d'insécurité, d'envie, de violence, de solitude, de peine et d'égoïsme qui opère dans notre inconscience à tous, alors nous ne nous sentirions pas si différents des autres.

Par notre ignorance nous attribuons beaucoup d'importance aux différences superficielle, comme de croyance, d'appartenance, de connaissance, de capacité qui ne sont que des acquis.

Nous ne nous sommes pas demandés pourquoi nous donnons une si grande importance, pourquoi nous les laissons diviser les hommes, alors qu'en réalité nous partageons la même conscience. Si vous ôtez à un homme son aisance, ses possessions, son statut, ses croyances et son savoir, et que vous regardez dans sa conscience, est-elle vraiment différente de celle d'un autre être humain?

Tout comme la caste, la couleur, la foi d'un être humain ne change pas la composition de son sang; nos acquis qu'il soient mentaux ou matériels ne change pas le contenu de notre conscience. Si nous ne nous empêchons pas de voir la réalité de ceci, nous découvrirons réellement l'unité fondamentale de l'espèce humaine.

C'est l'ignorance qui nous divise, non les différences.

Conclusion :

L'humanité est captive d'une grande illusion. Elle pense qu'elle peut résoudre ses problèmes par la législation, par des réformes politiques et sociales, le progrès scientifique et technologique, par un plus grand savoir, une plus grande aisance, plus de pouvoir et de contrôle.

Tout ceci peut résoudre en effet quelques problèmes; mais ce sont là des problèmes superficiels et temporaires. Ils auront le même effet que l'aspirine et ne guériront pas la maladie. Nous continuerons à créer de nouveaux problèmes d'un coté et essaieront de les résoudre de l'autre, pour maintenir l'illusion du "progrès". Et il nous reste que peu de temps, car la maladie évolue vertigineusement, prête à faire disparaître l'homme; si l'homme ne se transforme intérieurement, par une mutation de son psychisme, il figurera bientôt sur la liste de ces malheureuses créatures qui vivent un million d'année ou plus et disparaissent alors, faute d'avoir pu s'adapter.

La question reste toujours posée de savoir si l'évolution de l'homme à partir du singe fut réellement un pas vers la survie de l'espèce ou une étape. Seul le temps pourra le dire.