mercredi 21 juillet 2010

ESCROQUERIE DES BIO-CARBURANTS

















Les chiffres du Département de l’Agriculture Américain (USDA) révèlent qu’un quart des céréales américaines cultivées en 2009 ont été destinées aux biocarburants, transformant la nourriture bon marché en carburant onéreux. Cela augmente les prix des denrées alimentaires et cause des dommages à l’environnement, pourtant le président Obama a promis « la poursuite des investissements dans les biocarburants avancés » lors de son discours annuel sur l’état de l’Union.
Selon un document sur la crise alimentaire de 2007-2008 rédigé par le Groupe d’étude des perspectives de développement de la Banque Mondiale et ayant filtré dans les médias en 2008, aux États-Unis et en Union européenne la production de biocarburants a été responsable de 70 à 75 % de la hausse des prix — contre 3 % admis par le USDA.
Ces subventions n’ont rien à voir avec la réduction d’émissions de gaz à effet de serre mais bien plus avec du lobbying. Pourtant, en dépit de la réaction à l’encontre des biocarburants en 2008, ces derniers sont toujours à l’ordre du jour.
Les biocarburants produits à partir de cultures comme le maïs, le sucre et l’huile de palme ont plus que triplé depuis 2000. Les États-Unis vont augmenter le mélange d’éthanol à 15 milliards de gallons d’ici 2012 et 36 milliards en 2022, contre 9 milliards l’an dernier.
Un rapport récent de la Rice University (Texas) a découvert que les USA ont dépensé 4 milliards de dollars en subventions aux biocarburants en 2008 pour remplacer seulement 2 % de l’approvisionnement en essence des États-Unis. Le coût estimé pour les contribuables est d’environ 82 $ US le baril, soit 1,95 $ US de plus par gallon que le prix du carburant pétrole. En 2022, les subventions des biocarburants américains auront totalisé 400 milliards de dollars US, selon le groupe de pression environnemental « les Amis de la Terre » (Friends of the Earth). L’UE ne fait pas mieux, distribuant environ 3,7 milliards d’euros (5,2 milliards de dollars) de subventions pour les biocarburants en 2007, visant à remplacer 5,75 % des carburants d’ici la fin 2010.
















Au-delà des impôts gaspillés et la hausse des prix alimentaires, les biocarburants sont un contre-sens environnemental : leur production aux États-Unis et en UE génère plus d’émissions qu’elle n’en évite. Le prix Nobel de chimie Paul J. Crutzen estime que : « pour le biodiesel de colza, qui représente environ 80 % de la production de biocarburants en Europe, le réchauffement relatif dû aux émissions de N2O [oxyde nitreux] est estimé à 1 à 1,7 fois plus que l’effet de quasi-refroidissement dû aux réductions des émissions de CO2 [dioxyde de carbone] d’origine fossile. Pour le bioéthanol de maïs, dominant aux États-Unis, le chiffre est de 0,9 à 1,5. »
Bien que l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture voit peu de chance dans un avenir proche d’un autre « concours de circonstances d’autant de facteurs » qui ont causé la crise alimentaire, on ne peut se satisfaire de cette situation. Les prix alimentaires mettent beaucoup de temps à diminuer (le maïs est encore supérieur de 50 % à la moyenne 2003-2006), tandis que le nombre de personnes sous-alimentées a récemment dépassé le milliard. Cette tendance est inquiétante, car il y a eu une augmentation tant du nombre absolu que du pourcentage de personnes sous-alimentées, inversant ainsi des décennies de progrès.
L’éthanol utilise déjà 27 millions sur les 90 millions d’acres (1 acre = ½ hectare) de maïs aux États-Unis : l’indice des prix des aliments de la Banque mondiale a doublé entre 2006 et 2008.
Si la culture de biocarburants était vraiment une question d’environnement, les USA n’imposeraient pas de tarifs douaniers sur le bioéthanol d’Amérique latine et des Caraïbes. De même, les nouveaux tarifs douaniers de l’UE sont manifestement destinés aux producteurs américains qui envoient 95 % de leurs exportations de biocarburants en Europe.
En outre, il y a la crainte que les habitats naturels soient convertis en terres agricoles pour tirer profit des subventions aux biocarburants. Le détournement des terres cultivées existantes aux États-Unis pour les biocarburants a déplacé la production de soja en Amérique du Sud et en Indonésie, en encourageant la déforestation.
















Les biocarburants n’économisent pas non plus l’énergie. Certaines variétés nécessitent autant d’énergie pour croître, être transportées et traitées, qu’elles n’en libèrent quand on les consomme.
Par ailleurs, selon le Conseil mondial des entreprises pour le développement durable, lorsque le prix du pétrole passe sous les 70 dollars le baril (les prix récents varient entre 70 et 85 dollars US), l’éthanol à base de maïs est environ au même prix à la pompe que les carburants pétroliers normaux — mais sans compter les subventions payées par les contribuables.
Les États-Unis et l’UE indiquent qu’une « deuxième génération » de biocarburants à partir de cellulose végétale ou de déchets aidera à réaliser les objectifs d’énergies renouvelables qu’ils se sont imposés, mais il s’agit d’une industrie naissante qui doit encore prouver sa rentabilité. L’UE a déclaré qu’elle réétudierait les biocarburants après la crise alimentaire. Mais il y a des pressions importantes des lobbies agricoles aux USA et en UE.
L’agriculture fait face à de nombreuses difficultés, de la manière d’établir les droits fonciers à la façon de diffuser la technologie ou à s’adapter au changement climatique. Mais le problème des biocarburants est d’une évidence déconcertante : créer un marché artificiel avec des subventions ne réduira pas les émissions, ne sauvera pas les forêts tropicales et ne nourrira pas les pauvres. Subventionner les biocarburants n’est qu’un moyen de détourner des fonds vers les lobbies agricoles des pays riches : il est temps d’y mettre fin.

Source : "Un Monde Libre"
par Caroline Boin
Caroline Boin est directrice de projet à l’International Policy Network de Londres, un think tank indépendant dédié aux questions de développement économique.

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