mardi 11 septembre 2012

DOSSIERS SECRETS DU 11 SEPTEMBRE


11 ans après les attentats du 11 septembre, des personnes attendent toujours l'ouverture des dossiers secrets de la CIA, du Mossad, de la Société Skull & Bones...

Le thème des dossiers secrets est traité par le normalien René Alladaye, professeur de littérature américaine à l'université de Toulouse :

Pourquoi Da Vinci Code a-t-il connu un tel succès ? Il y a là évidemment une part d'irrationnel, mais si l'on tente de s'en remettre à des arguments cartésiens, il me semble que deux facteurs dominent. En premier lieu, il a su fédérer deux franges a priori opposées du public. Il s'agit à la base d'un thriller, un roman dont l'intrigue est fondée sur le motif de la course-poursuite et l'élucidation d'un meurtre, les arguments grand public classiques. Mais le profil du héros — un professeur de Harvard, spécialiste d'art religieux — et sa thématique centrale — la manière dont l'Église aurait étouffé quelques vérités explosives sur les origines du christianisme — ont largement contribué à donner au roman une audience beaucoup plus vaste que celle dont Dan Brown avait pu bénéficier pour ses livres précédents. On ne compte plus les ouvrages se proposant de mener l'enquête à partir du roman pour fournir aux lecteurs des connaissances historiques précises concernant les événements ou les théories qui traversent l'intrigue ou la sous-tendent. Ouvrages qui tentent aussi de faire la part du vrai et du faux dans le livre, d'y distinguer l'histoire authentique des fantaisies de la fiction. La seconde raison réside dans le fait que ce roman a très bien saisi ce que l'allemand nomme Zeitgeist, l'air du temps. Et l'air du temps, pour le meilleur ou pour le pire, fait la part belle aux théories du complot.

Le constat paraît d'abord paradoxal. Tout nous incite en effet à considérer le monde qui nous entoure comme un lieu de transparence et de rationalité. Nous vivons l'âge des sciences et de la technologie, le siècle de l'information continue qui nous dit à toute heure du jour, et en temps réel, ce qui se passe à l'autre bout de la planète. Tout cela ne fait aucun doute. Mais l'ironie veut que cette explosion des sciences et des techniques induise comme un choc en retour inévitable l'émergence de visions complètement irrationnelles du monde. André Comte-Sponville résume clairement la situation au chapitre «Tolérance» de son Petit Traité des grandes vertus : « Nous ignorons plus que nous ne savons, et tout ce que nous savons dépend, directement ou indirectement, de quelque chose que nous ignorons. » Tout est là : l'impossibilité, pour l'immense majorité d'entre nous, de vérifier la masse des informations auxquelles nous sommes journellement confrontés a commencé de transformer une époque qu'on annonçait comme celle de la raison triomphante en règne simultané et contradictoire de la foi et du soupçon généralisé.

Face à l'omniprésence et à la toute-puissance de la technique, une question simple est redevenue étrangement centrale : comment distinguer ce qui est réel de ce qui ne l'est pas ? La radio annonce qu'un avion de ligne s'est encastré dans un bâtiment militaire, en pleine ville, à des milliers de kilomètres de l'endroit où je me trouve. La télévision et les journaux en montrent l'image : un cratère filmant et des pans de murs calcinés presque entièrement masqués par les bâches plastique des enquêteurs. Mais qui me prouve que tout cela est réel ? Comme le dit Jean Baudrillard, la vérité première de l'image, c'est que je n'y étais pas. Elle représente le fait, mais ne le présente pas, ne peut le rendre véritablement présent puisqu'il s'est produit ailleurs, avant. On fait ce qu'on veut avec une image, personne ne l'ignore, et la question revient, plus insistante : si tout cela n'était pas vrai ?

On aura reconnu évidemment la thèse d'un livre de Thierry Meyssan qui fit grand bruit quelques semaines après les attaques du 11 septembre 2001. L'Effroyable Imposture soutenait, en niant l'évidence, que l'attentat de Washington n'était que pure intoxication : aucun avion ne se serait écrasé sur le Pentagone. Absurde, mais le succès que connut l'ouvrage prouve qu'il relaie des opinions qui ne sont pas totalement marginales. Ce succès signe l'émergence d'une culture, construite et pleinement assumée, du complot dont les cibles demeurent classiques : les sociétés secrètes de tous ordres, la franc-maçonnerie, ou la mythique Trilatérale. Antoine Vitkine dans Les Nouveaux Imposteurs donne une définition très précise du phénomène : « La théorie du complot n'est pas autre chose qu'un mode de pensée qui consiste à attribuer à tel ou tel groupe d'individus des pouvoirs qu'ils n'ont pas, à les soupçonner d'être derrière des événements avec lesquels ils n'ont rien à voir, à les accuser de se concerter secrètement, d'avoir des plans cachés, des intentions dissimulées. » Le propre du conspirationniste est de mêler savamment le vrai et le faux, d'installer une logique retorse et paranoïaque où les détails et les anecdotes sont présentés comme des événements centraux, les faits avérés désignés comme des écrans de fumée, produits d'un discours officiel.

Voilà qui nous ramène à Dan Brown. Les fameux « dossiers » liés à la société secrète du Prieuré de Sion qu'évoque sa première page existent bel et bien à la Bibliothèque nationale sous la cote 4°lm 249, mais ce ne sont en aucun cas des parchemins, et loin de constituer les archives d'une société secrète séculaire, ils se composent en fait de documents fort récents, rédigés vers le milieu du XXe siècle pour donner une voix à certains courants ésotériques aux motivations troubles. On est donc loin des révélations fracassantes de l'intrigue. Évitons les faux procès : Da Vinci Code est une fiction, ne l'oublions pas. Mais son succès illustre assez la facilité avec laquelle une grande partie du public établit de nos jours un lien presque automatique entre société secrète et agissements inquiétants, et probablement répréhensibles. La manière dont l'Église s'est trouvée rapidement visée par le soupçon fait aussi apparaître au grand jour la défiance ambiante à l'endroit de tout discours officiel, sans doute alimentée par le discrédit qui frappe actuellement les élites en place, qu'elles soient religieuses ou politiques, le sentiment diffus mais général qu'« on nous cache tout » auquel la série X-Files adosse ses intrigues et un slogan qui a fait flores : « La vérité est ailleurs. »

C'est à cette logique de « café du commerce» remarquablement servie, soit dit en passant, par la possibilité qu'offre Internet de transmettre de manière extrêmement large et rapide toutes sortes de rumeurs que s'attaquent Les Nouveaux Imposteurs. Et le livre est réussi en ceci qu'il démonte efficacement les mécanismes de constructions ancrées dans une rhétorique spécieuse. Mais il montre aussi, sans doute malgré lui, combien il est difficile de réfuter un discours essentiellement pervers. En fait, et c'est là un cercle, tenter d'écarter les approches conspirationnistes implique le recours à des distinctions inévitablement manichéennes : on va être amené à dire qu'il y a du vrai, sans ambiguïté, et du faux, lui aussi sans ambiguïté. Le problème, c'est que ces approches sont elles-mêmes très manichéennes et font leur miel de ce type de stratégie. Les aborder avec un système de pensée qui laisse entendre que les choses sont blanches ou noires peut donc paradoxalement contribuer à les renforcer. La difficulté est de traiter avec nuance ce qui repose sur le mépris de toute nuance. Dire que tout est complot est évidemment absurde, mais prétendre que les complots n'existent pas l'est tout autant. Il arrive qu'un événement soit le fruit d'une machination : la politique admet parfois les pratiques les plus retorses. Ce qui est délicat, c'est de distinguer l'intrigue réelle de l'intrigue hallucinée, ou d'admettre qu'une intrigue hallucinée peut cacher une intrigue réelle. Ainsi, même si on répugne à croire que les attentats de New York et de Washington puissent être le fruit d'un complot mené conjointement par la CIA et le Mossad dans le seul but de justifier des menées impérialistes prévues de longue date, on est contraint de reconnaître que les arguments employés par l'Administration américaine à la veille de l'invasion de l'Irak étaient mensongers. Manœuvre ? Sans doute, et bien qu'il semble plus avisé de l'attribuer aux conseillers de la Maison Blanche qu'aux services secrets israéliens, on ne peut s'empêcher de penser que Vitkine, dans son désir de réfuter hâtivement des thèses conspirationnistes certes délirantes, exonère trop facilement les dirigeants américains et refuse d'admettre que l'opinion américaine a, en l'espèce, fait l'objet d'une manipulation. La vérité n'est pas ailleurs, mais elle est souvent complexe.

Tiré du livre : "Petite philosophie du secret" de René Alladaye, 

Petite philosophie du secret

Notre époque est celle de l'idéologie de la transparence et de la surveillance, quasi permanente, du citoyen. Nuit et jour, les médias font commerce et spectacle de notre intimité. Pourtant, paradoxalement, le secret ne s'est peut-être jamais aussi bien porté. On le croyait réservé aux intrigues d’État et aux romans d'espionnage. A tort, car il est omniprésent, protéiforme, chacun s'y trouve confronté et rien n'échappe à sa tutelle.

En posant un regard philosophique sur cette domination discrète et fascinante que le secret exerce sur notre quotidien, mais aussi sur notre imaginaire (comme en témoigne le succès planétaire du Da Vinci Code), cet ouvrage célèbre le secret comme autant de petits arrangements avec la vérité...

Petite philosophie du secret

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