On veut l’oublier, mais l’eau de pluie n’est plus considérée comme potable. Un recul, alors que l’accès à l’eau dans le monde progresse toujours moins vite que les besoins augmentent.
L’eau de pluie n’est plus pure. L’a-t-elle, d’ailleurs, jamais été? Mais surtout, elle n’est plus potable. Ainsi, l’eau qui tombe du ciel serait devenue nocive pour l’homme?
On pense aux nuages radioactifs, à la suite des catastrophes de Tchernobyl voilà vingt-cinq ans et surtout de Fukushima il y a seulement un an. Certes, les particules radioactives ont eu le temps de se disperser. Mais il y a bien d’autres sources de contamination possibles.
La Direction générale de la santé en avait établi le diagnostic bien avant le dernier accident nucléaire:
«L’eau de pluie n’est pas potable, car elle présente une contamination microbiologique et chimique supérieure aux limites de qualité retenues pour l’eau potable distribuée par le réseau public.»
Et la loi sur l’eau de 2006 l’a rappelé. On en parle peu. Toutefois, Xavier Leflaive, de la direction de l’environnement de l’OCDE, n’a pas hésité à le mentionner à plusieurs reprises en préambule au sixième Forum international de l’eau.
C’est un des problèmes que pose la gestion de l’eau aujourd’hui. On peut craindre qu’il s’aggrave. Mais ce n’est pas le seul. Le Conseil mondial de l’eau tire la sonnette d’alarme lorsqu’il constate que «la crise de l’eau est largement répandue et la poursuite de l’application des politiques en vigueur en matière de gestion de l’eau ne fera qu’étendre et aggraver cette crise» [PDF].
«L’eau pour tous», de moins en moins
Les problèmes sont apparus au XXe siècle. Les besoins d’eau ont augmenté plus vite que la démographie: alors que la population mondiale a presque quadruplé passant de 1,6 à 6 milliards d’individus, la consommation d’eau a été multipliée par six, à cause de la croissance économique qui génère elle-même de nouveaux besoins. «La consommation d’eau augmente deux fois plus vite que la croissance démographique. Source de vie, l’eau risque de devenir source majeure de conflit», alertait Jacques Chirac en juin 1997 au deuxième sommet de la Terre à New York.
En 2000, lorsque la communauté internationale fixa les objectifs de développement du millénaire, l’eau avait été déclarée «enjeu prioritaire» et les pays participants s’étaient engagés à réduire de moitié en quinze ans le nombre de personnes privées d’accès à l’eau potable. A Johannesburg en 2002, ils réaffirmaient le principe de «l’eau pour tous». Mais au quatrième Forum mondial de l’eau qui s’est tenu à Mexico en 2006, force fut de constater que les objectifs n’étaient pas tenus.
Aujourd’hui, l’OCDE estime que, d’ici à 2050 avec 9 milliards de personnes sur la planète, la demande mondiale en eau va encore augmenter de 55% alors que le cycle de l’eau est immuable et que la quantité d’eau de pluie déversée sur la terre est constante.
Un accès à l’eau critique pour 40% de la population mondiale
Mais le défi est moins celui de la quantité, que de la répartition des précipitations par rapport aux besoins et de la gestion de l’eau douce disponible. «Les gouvernements vont devoir faire des choix pour déterminer qui aura accès à l’eau, et dans quelle proportion», commente un expert de l’organisation. Ce qui braque le projecteur sur le prix de l’eau, et la tarification retenue pour traduire la rareté de la ressource.
Pour fixer les idées, rappelons que l’eau douce ne représente que 3% de l’eau sur la planète. La proportion d’eau destinée à la consommation domestique ne représente que 8% du total. Mais 22% de l’eau utilisée dans le monde est captée par l’industrie et 70% est destinée à l’agriculture pour ses besoins en irrigation, selon une évaluation du Conseil mondial de l’eau.
Bien sûr, les situations sont très disparates, même au sein des pays de l’OCDE: pour une moyenne d’un peu plus de 800 m3 d’eau douce prélevés par habitant chaque année, on en consomme deux fois plus aux Etats-Unis, contre 500 m3 en France, 400 m3 en Allemagne et 200 m3 au Royaume-Uni.
En réalité, la croissance économique d’une partie de la planète a accentué le fossé entre les pays développés qui en consomment de plus en plus, et les laissés pour compte. Au point qu’au milieu du siècle, 40% de la population mondiale seront confrontés à des problèmes de ressources en eau [PDF]. Soit près de deux fois plus qu’aujourd’hui puisqu’on considère qu’entre 1,2 et 1,4 milliard de personnes (soit environ 20% des habitants de la planète) ne disposent pas aujourd’hui d’un accès à l’eau potable.
Stabiliser les besoins de l’agriculture
Compte tenu de l’importance prise par l’irrigation, c’est dans ce secteur que les efforts doivent être les plus importants. Et le défi n’est pas mince puisque l’agriculture devra produire plus (50% d’ici à 2030, 100% d’ici à 2050) en consommant moins d’eau. Une question se pose alors aux experts de l'OCDE: «Est-ce normal que les agriculteurs captent toute l’eau qu’ils souhaitent?»
Les préconisations sont nombreuses pour inverser la tendance, allant d’un meilleur captage et stockage de l’eau à une sélection plus rigoureuse des cultures. Les réflexions vont dans ce sens puisque même en Europe au niveau de la réforme de la Politique agricole communautaire (PAC), les aides devraient être découplées des volumes pour davantage tenir compte des techniques utilisées et favoriser les moins consommatrices en eau, afin de réduire la surexploitation des nappes phréatiques.
Ainsi, alors que la demande en eau devrait quadrupler pour l’industrie dans le monde en quarante ans et augmenter de 130% à 140% pour l’énergie et les ménages, elle devrait se stabiliser pour l’agriculture.
Inventer une gestion décentralisée de l’eau
Quant aux autres solutions, elles passent en priorité par l’assainissement et la gestion des eaux usées. Tous les pays ne sont pas parvenus au même niveau qu’Israël, qui réutilise 95% de ses eaux usées. Malgré tout, aujourd’hui dans les pays de l’OCDE, 70% de la population sont raccordés à une station d’épuration contre la moitié dans les années 1980. Ce qui constitue un progrès au plan sanitaire, même si les eaux ainsi captées ne sont loin d’être toutes réutilisées. Mais les besoins d’investissements dans les infrastructures restent énormes, de l’ordre de 1% du PIB pour ces pays pendant 20 ans.
Toutefois, c’est dans les autres pays que les besoins sont les plus aigus, bien supérieurs aux fonds disponibles. Ce qui pose le problème de la gouvernance dans le domaine de l’eau, absolument pas réglé aujourd’hui et notamment pas dans les mégapoles dont les rythmes de croissance sont plus élevés que le développement des infrastructures.
«Le vrai frein, c’est le modèle économique des opérateurs: ils ont besoin de vendre du volume alors que la solution réside certainement dans un retraitement décentralisé de l’eau», explique un administrateur de l’OCDE. Une remise en question pour l’eau qui va dans le même sens que l’énergie, et implique d’inventer un nouveau modèle de société.
Gilles Bridier
source : www.slate.fr
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